Non loin de lui, celui de son frère Ghaled, 5 ans, et de leur mère Rihanna, 27 ans, morts noyés avec neuf autres réfugiés syriens qui tentaient de rallier l’île grecque de Kos, porte d’entrée vers l’Union européenne (UE), comme des milliers d’autres avant eux. Leurs deux petites embarcations ont coulé dans la nuit.
« Nous avions des gilets de sauvetage mais le bateau a subitement chaviré parce que des gens se sont levés. Je tenais la main de ma femme. Mais mes enfants m’ont glissé des mains », a raconté jeudi le père, Abdallah Shenu, à l’agence de presse Dogan.
« Il faisait noir et tout le monde criait. C’est pour ça que ma femme et mes enfants n’ont pas pu entendre ma voix. J’ai essayé de nager jusqu’à la côte grâce aux lumières mais je n’ai pas pu retrouver ma femme et mes enfants une fois à terre », a expliqué M. Shenu, « je suis allé à l’hôpital et c’est là que j’ai appris la mauvaise nouvelle ».
Relayées par les réseaux sociaux puis une bonne partie de la presse occidentale, les photos du corps sans vie d’Aylan ont fait le tour du monde et personnalisé le drame vécu par des centaines de milliers de Syriens qui tentent par tous les moyens de quitter leur pays en guerre depuis plus de quatre ans.
Comme l’a raconté à l’AFP un journaliste syrien, Mustefa Ebdi, la famille Shenu errait depuis trois ans à la recherche d’un havre de paix. « Ils ont quitté Damas en 2012 pour Alep (nord) et lorsque des combats s’y sont déclarés, ils sont partis à Kobané ».
Mais la ville kurde a été prise pour cible par les jihadistes de l’Etat islamique (EI) à l’automne 2014. Abdallah, sa femme et leurs deux enfants ont fui en Turquie.
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Une fois la ville à nouveau contrôlée par les milices kurdes en janvier, ils ont repassé la frontière. Mais une nouvelle offensive jihadiste contre Kobané en juin les a définitivement convaincus de quitter la Syrie.
La famille avait envisagé la possibilité de partir légalement pour le Canada avec l’aide d’une soeur d’Abdallah, tante du petit Aylan, installée à Vancouver (ouest), a témoigné cette dernière, Teema Kurdi, dans le quotidien canadien Ottawa Citizen.
Les services d’immigration du Canada ont souligné de leur côté n’avoir « aucune trace » d’un dossier déposé au nom d’Abdallah et de sa famille. Il ont cependant indiqué avoir retourné une demande au nom de son frère Mohammed Kurdi, « parce qu’elle était incomplète et ne respectait pas les exigences réglementaires en matière de preuve de la reconnaissance du statut de réfugié ».
« Je n’avais pas encore rempli les papiers d’Abdallah », a précisé Teema Kurdi à la télévision canadienne.
A défaut de partir pour le Canada, les Kurdi ont pris le risque de rejoindre clandestinement l’Europe, comme des milliers d’autres Syriens. « Ils ont emprunté de l’argent à un proche et sont partis pour tenter de trouver une vie meilleure », selon M. Ebdi.
Direction Bodrum, donc, à quelques miles nautiques de la Grèce.
Comme l’a lui-même confié le père jeudi, leurs premières tentatives ont échoué. « La première fois, les gardes-côte nous ont arrêtés. Nous avons été libérés plus tard ». La deuxième fois, « les passeurs nous ont fait faux bond et ne sont jamais venus nous chercher avec leur bateau », a expliqué Abdallah.
Après le naufrage qui a décimé la famille Kurdi, la police turque a arrêté jeudi quatre passeurs présumés, tous de nationalité syrienne.
En désespoir de cause, Abdallah a décidé de forcer le destin de sa famille en ralliant Kos par ses propres moyens, avec une poignée d’autres candidats au départ. « Nous avons récupéré un bateau et nous avons donc essayé de traverser seuls ».
Comme il l’a confié, le père de famille est désormais décidé à rentrer en Syrie pour y enterrer sa famille.
Selon les autorités locales turques, Abdallah doit quitter Bodrum dès jeudi soir pour Istanbul avec les corps d’Aylan, Ghaled et Rihanna. Il doit repartir dès vendredi vers Suruç, à la frontière turco-syrienne, puis rallier Kobané. La fin du voyage.