« Comment pouvez-vous parler de démocratie alors qu’on est colonisés ? » Pour Jean-Pierre Baou, le référent de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) à Houaïlou, il était hors de question de participer aux élections législatives.
Dans la seconde circonscription, celle où est située cette localité minière aux reliefs façonnés par l’exploitation du nickel, une forte mobilisation a pourtant permis au candidat indépendantiste Emmanuel Tjibaou d’arriver en tête avec 44,06% des suffrages, en ballottage pour décrocher le 7 juillet un mandat inédit.
Mais Jean-Pierre Baou a respecté à la lettre le « mot d’ordre » de la CCAT – bloquer un bureau de vote – explique-t-il, sur fond de conflit avec le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) qui rassemble les principaux partis indépendantistes et dont les dirigeants sont accusés de mollesse sur les barrages.
– PUBLICITE –
Jean-Pierre Baou, 56 ans, reconnaît que le blocage en a « énervé certains ». « On a voulu rester devant la mairie pour éviter que les gens aillent voter, sauf qu’ils ont envoyé les forces de l’ordre en face. Ça a envenimé la situation », poursuit-il.
Auparavant, l’entrée de la gendarmerie avait été forcée avec un engin de chantier volé dans une mine voisine. Une simple « prise de position » des jeunes, évacue le militant.
Lundi, la tension restait palpable, illustration des soubresauts qui secouent le nord de la Nouvelle-Calédonie, notamment depuis l’incarcération en métropole de plusieurs figures de la CCAT, le week-end des 22 et 23 juin, alors que les troubles concernaient jusqu’alors surtout Nouméa.
De source sécuritaire, ce n’est pas un hasard si la région de Houaïlou s’est soulevée. La branche locale de la CCAT est connue pour y être « très extrême », explique-t-on à l’AFP. En cause notamment : « la dilution totale des structures coutumières » depuis des décennies, avec une « jeunesse qui échappe à tout contrôle ».
Drapeaux de la Kanaky flottant sur les carcasses des voitures, les jeunes du dernier barrage avant Houaïlou posent, encagoulés.
Sur le pont qui traverse la rivière gît un bus calciné et tagué d’insultes. Pas d’hostilité, mais une pression latente.
– Semé d’embûches –
Une intrusion du GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale) sème le trouble : les militaires investissent soudainement une maison voisine, dans un lotissement occupé par des gendarmes avant la crise. Comme dans de nombreuses communes calédoniennes, ceux-ci vivaient au milieu de la population et les relations étaient cordiales, disent les habitants.
Le départ du GIGN, quelques minutes plus tard, se fait sous les lancers de pierre des plus jeunes. Puis, au passage d’une voiture de la ville, le ton monte brusquement : le conducteur est accusé d’avoir aidé les gendarmes et redémarre au quart de tour pour éviter le pire. Il en est quitte pour une vitre cassée.
Les relations sont tendues avec le maire, Pascal Sawa, membre de l’Union calédonienne et cadre du FLNKS. Celui-ci a refusé de commenter la situation.
Si le bureau de vote de Houaïlou regroupe près de 4 000 électeurs, le village est vide. La plupart des habitants sont disséminés dans les territoires des 33 tribus kanakes dispersées sur la commune, parfois dans les zones reculées de la chaîne de montagnes environnante.
Reste un silence pesant. Légèrement en surplomb du village, la gendarmerie a des allures de camp retranché.
L’énorme engin de chantier bloque toujours l’entrée des lieux, dont le portail enfoncé a été remis en place hâtivement avec une chaîne cadenassée.
Arme automatique au poing, deux gendarmes montent la garde. L’attaque n’a pas fait de blessé chez les forces de l’ordre, mais était suffisamment sérieuse pour que le commandant de la gendarmerie de Nouvelle-Calédonie, le général Nicolas Matthéos, vienne sur place.
Déplacement en hélicoptère : le trajet vers Houaïlou depuis Nouméa reste semé d’embûches, six semaines après le début des troubles qui secouent la Nouvelle-Calédonie.
Passé Bourail, ville rurale à 150 km au nord de Nouméa, il faut emprunter une sinueuse route de montagne en slalomant régulièrement à travers une succession d’obstacles.
Tout est bon pour entraver la route : scooters ou voitures calcinés, arbres tronçonnés, enjoliveurs…
À la différence de Nouméa, où les barrages sont constamment nettoyés, les forces de l’ordre reconnaissent ne pas s’embêter ici à les enlever.