Montée des océans : 280 millions de personnes pourraient être déplacées

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Des îles du Pacifique au delta du Gange, des centaines de millions de personnes risquent d'être chassées de chez elles par la montée des océans. Une fuite sans espoir de retour pour des "réfugiés climatiques" qui devront trouver une terre d'accueil.

Publié le 20/09/2019 à 10:05 - Mise à jour le 20/09/2019 à 10:27

Des îles du Pacifique au delta du Gange, des centaines de millions de personnes risquent d'être chassées de chez elles par la montée des océans. Une fuite sans espoir de retour pour des "réfugiés climatiques" qui devront trouver une terre d'accueil.

Réchauffement climatique, surpêche, pollution… L’océan est malade, au risque de ne plus pouvoir assurer aussi efficacement des activités primordiales pour la survie de l’Humanité, comme la production d’oxygène et l’absorption du CO2 issu des activités humaines. Et même si le monde parvenait à limiter le réchauffement de la planète à +2°C par rapport à l’ère pré-industrielle, l’augmentation du niveau des mers pourrait submerger les foyers de 280 millions de personnes, selon un projet de rapport des experts du climat de l’ONU obtenu en août par l’AFP.

Même à +2°C, les calottes glacières continueront à fondre et même si les scientifiques ne savent pas combien de temps ça prendra, à terme cela signifie « plus de 4,5 mètres d’élévation du niveau de la mer, probablement six mètres », explique à l’AFP Ben Strauss, le patron de l’institut de recherche Climate Central. « C’est suffisant pour effacer de la carte la plupart des villes côtières », poursuit le chercheur qui avait déjà mis en avant dans une étude publiée en 2015 ce chiffre de 280 millions.

Selon ses recherches, une partie importante de la population de grandes villes se retrouverait sous l’eau, à Hong Kong (31%), Shanghaï (39%), Bombay (27%), Calcutta (24%), Amsterdam (92%), Bangkok (42%) ou Miami (43%).

Là où ce sera techniquement et financièrement possible, certains aménagements pourront être réalisés pour éviter la submersion. New York envisage par exemple des travaux de protection qui coûteront des milliards de dollars. « Des digues de plus en plus hautes devront être construites », mais « voulons-nous vivre au fond d’une cuvette et à quelle profondeur ?« , lance Ben Strauss. « En cas de méga-tempête, ou si quelqu’un pose une bombe…, plus la cuvette est profonde, plus elle se remplit vite ».

Certaines communautés, notamment dans les régions polaires, risquent de toute façon d‘ »atteindre les limites de l’adaptation bien avant la fin du siècle » et certaines États insulaires pourraient devenir « inhabitables », estime le projet de rapport de l’ONU examiné à Monaco à partir de vendredi.

La plupart des milliers d’atolls tropicaux seront inhabitables d’ici à 2050

Cette dernière prédiction pourrait se réaliser très rapidement. Selon une étude parue en 2018 dans la revue Science Advances, la plupart des milliers d’atolls tropicaux seront inhabitables d’ici à 2050. Non parce qu’ils auront disparu sous les eaux -ce qui ne devrait pas se produire avant 2100 ou 2150- mais parce que la fréquence des inondations marines provoqueront la contamination de l’eau potable.

Face à cet avenir sombre, « beaucoup de gouvernements de petits États insulaires sont pris dans un dilemme », note François Gemenne, un spécialiste en géopolitique de l’environnement travaillant à l’université de Liège. « Ça pourrait sembler une bonne stratégie de négocier des accords de migration », explique-t-il à l’AFP. Mais « ils estiment que ça signifierait baisser les armes face au changement climatique ».

Dans tous les cas, petites îles peu peuplées ou grandes mégalopoles côtières, cette « redistribution d’une partie de la population mondiale » doit être « organisée », « sur plusieurs générations », plaide le chercheur. « Le pire serait d’attendre le dernier moment et d’être obligé de déclencher des opérations humanitaires » pour reloger dans l’urgence ces populations « sans qu’elles aient pu décider où refaire leur vie ailleurs », souligne-t-il.

Et même si ces mouvements de population devraient être principalement internes, selon les experts, ils n’iront pas sans difficultés.

Quelles population protéger ? Quelles populations déplacer, comment, avec quelles compensations ?

Pour certains gouvernements, « les populations les plus défavorisées ne seront pas forcément en haut de la liste et on imagine les tensions que vont provoquer les choix entre ceux qu’on protège et ceux qu’on sacrifie », prédit François Gemenne.

Le niveau de la mer n’est en plus pas le seul effet du réchauffement appelé à chasser de plus en plus de gens de chez eux. Selon l’Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC), 16 millions de personnes ont été déplacées en 2018 par des événements météo extrêmes appelés à se multiplier. 

Le dérèglement climatique est devenu un « moteur de migration », mettait en garde l’an dernier la Banque mondiale, qui prédit 143 millions de « migrants climatiques » d’ici à 2050. Et si pour certains, il existe un espoir de rentrer un jour, pour ceux acculés par la montée des eaux, « ce sont des migrations sans retour possible », insiste François Gemenne.

L’océan, clé dans la lutte contre le changement climatique

Même s’il a abîmé les océans, l’Homme peut espérer y puiser des solutions pour lutter contre le changement climatique et ses impacts, à condition de protéger ses écosystèmes affaiblis. Des énergies renouvelables marines à la restauration des écosystèmes côtiers, « l’océan est aussi une source de solutions qu’il faudrait mettre en oeuvre », plaide Jean-Pierre Gattuso, chercheur au CNRS qui a participé à une étude sur le sujet publiée en 2018 dans la revue Frontiers in Marine Science.

Pour l’aider à retrouver ses forces, beaucoup plaident pour une augmentation des zones protégées. « Au moins 30% des océans doivent être placés sous protection pour que les écosystèmes soient suffisamment résistants (…) et les 70% restant doivent être gérés de façon prudente et durable », plaide Tom Dillon, vice-président de l’ONG Pew Charitable Trust.

Selon le récent rapport des experts de l’ONU sur la biodiversité, 7% des mers sont aujourd’hui protégées, et pas forcément de façon efficace.

Protéger les océans passe aussi par la restauration des écosystèmes côtiers comme les mangroves ou les herbiers marins, qui ont des capacités importantes d’absorption du carbone, phénomène baptisé « carbone bleu ».

Le potentiel d’atténuation du changement climatique de ces écosystèmes est « relativement modeste au niveau mondial (environ 2% des émissions) », selon le projet de rapport des experts climat de l’ONU.

Mais c’est toujours mieux que rien, d’autant que si elle est en bonne santé, cette végétation marine permet aussi de « réduire les impacts de l’élévation du niveau de la mer » et offre des « co-bénéfices aux communautés locales » (sécurité alimentaire, tourisme…), relève l’étude de Frontiers in Marine Science. Les préserver permet aussi de réduire les émissions provoquées par leur dégradation.

Des énergies renouvelables

Les énergies renouvelables marines proviennent du vent (éoliennes offshore) ou directement de l’océan, par les vagues, les marées ou encore les courants.

Dans une étude parue en 2017, des chercheurs de la Carnegie Institution for Science estimaient que des parcs éoliens en pleine mer produiraient plus d’énergie que ceux installés sur terre, et avaient même calculé que des parcs installés sur tout l’Atlantique Nord pourraient répondre aux besoins actuels de l’Humanité. « C’est une vue de l’esprit, ça n’arrivera jamais, mais ça montre le potentiel de cette technique pas suffisamment mise en oeuvre », a commenté Jean-Pierre Gattuso.

De manière générale, les énergies marines renouvelables sont une solution « d’une efficacité extraordinaire et qui pourrait être mis en place tout de suite », poursuit-il, notant toutefois les difficultés de développer des technologies adaptées à un « milieu hostile » comme l’océan.

La géo-ingénierie

Certains scientifiques les écartent d’emblée comme des techniques d’apprenti-sorcier, mettant en avant les risques qu’elles impliquent, d’autres travaillent sur la géo-ingénierie, persuadés que travailler sur la seule réduction des émissions de gaz à effet de serre ne suffira pas à protéger la planète.

Une partie de ces techniques de manipulation du climat est liées à l’océan, comme la fertilisation. Cela consiste à introduire du fer soluble dans la mer pour booster la production de phytoplancton qui absorbent le CO2 lors de la photosynthèse. Mais certains craignent des effets secondaires. Même critique pour d’autres techniques comme l’idée de déployer à large échelle une mousse blanche à la surface des océans pour réfléchir les rayons du soleil.

D’autres technologies sont un peu plus avancées, comme la capture et le stockage du carbone. Certaines entreprises travaillent ainsi au stockage du CO2 au fond des mers ou sous les océans.

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