Le Chili déclaré en état de « guerre »

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Le Chili est "en guerre", a affirmé dimanche le président Sebastian Piñera, dont le pays est secoué depuis cinq jours par des émeutes et des pillages qui ont fait 15 morts, la pire explosion sociale depuis des décennies.

Publié le 22/10/2019 à 10:04 - Mise à jour le 22/10/2019 à 10:49

Le Chili est "en guerre", a affirmé dimanche le président Sebastian Piñera, dont le pays est secoué depuis cinq jours par des émeutes et des pillages qui ont fait 15 morts, la pire explosion sociale depuis des décennies.

Une mesure de couvre-feu a été décrétée à Santiago entre 19H00 et 06H00 locales (22H00-09H00 GMT) depuis vendredi soir. L’état d’urgence a également été étendu dimanches soir à neuf autres grandes villes des 16 régions du pays. « Nous sommes en guerre contre un ennemi puissant, implacable, qui ne respecte rien ni personne et qui est prêt à faire usage de la violence et de la délinquance sans aucune limite », a déclaré le président Piñera à la presse.

Le général Javier Iturriaga, chargé vendredi de la sécurité publique par le chef d l’État, a de son côté appelé les habitants à rester « calmes » et à ne pas sortir de chez eux. 

Les émeutes se sont poursuivies dimanche. Des affrontements ont eu lieu entre manifestants et policiers dans l’après-midi dans le centre de Santiago, tandis que des pillages se  déroulaient dans plusieurs endroits de la capitale. Cinq personnes ont ainsi péri dans l’incendie d’une usine de vêtements en proie à des pillages. « Cinq corps ont été retrouvés à l’intérieur de l’usine en raison de l’incendie », dans le nord de la capitale, a annoncé à des médias locaux le commandant des pompiers de Santiago, Diego Velasquez. Deux personnes étaient déjà mortes dans la nuit de samedi à dimanche dans l’incendie d’un supermarché également pillé par des manifestants dans le sud de la capitale et une troisième avait été blessée, le corps brûlé « à 75% », selon les autorités.

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Deux personnes ont également été blessées par balle et hospitalisées dans un état « grave » après un incident avec la police lors de pillages, également dans le sud de la capitale, selon la même source.

(Crédit photo : Martin BERNETTI / AFP)

Près de 20 000 policiers et soldats sont déployés. C’est la première fois que des militaires patrouillent dans les rues depuis la fin de la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1990).

Selon les autorités, 1 462 personnes ont été arrêtées, dont 644 dans la capitale et 848 dans le reste du pays.

(Crédit photo : JAVIER TORRES / AFP)

Le bilan des morts dans des incendies et des pillages est monté à quinze mardi, dont 11 dans la région de la capitale et quatre dans le reste du pays. « Nous avons un total de 15 morts dans le pays, dont 11 dans la région de Santiago, survenus lors d’incendies et de pillages principalement de centres commerciaux », a déclaré à la presse le sous-secrétaire à l’Intérieur Rodrigo Ubilla. Parmi les personnes tuées hors de la capitale, trois l’ont été par balle, a-t-il ajouté.

239 civils ont été blessés, ainsi qu’une cinquantaine de policiers et militaires, et 2 643 personnes arrêtées.

Lundi soir, l’Institut national des droits humains (INDH), un organisme public indépendant, a indiqué que parmi les blessés, 84 l’avaient été par armes à feu. 

Après cinq jours de violences, le centre de la capitale chilienne et d’autres grandes villes, comme Valparaiso et Concepcion, offraient des visages de désolation : feux rouges au sol, carcasses de bus carbonisées, commerces pillés et incendiés.

Une fracture sociale

Les manifestations ont débuté vendredi pour protester contre une hausse -de 800 à 830 pesos (environ 124 Fcfp)- du prix des tickets de métro à Santiago, réseau le plus étendu (140 km) d’Amérique du Sud qui transporte quotidiennement environ trois millions de passagers. Piñera a suspendu la hausse samedi. Mais les manifestations et les violences se sont poursuivies, nourries par la colère face aux conditions socio-économiques et aux inégalités dans ce pays loué pour sa stabilité économique et politique, mais où l’accès à la santé et à l’éducation relèvent presque uniquement du secteur privé.

Des dizaines de supermarchés, de véhicules et de stations-service ont été saccagés ou incendiés. Les bus et les stations de métro ont été particulièrement ciblés. Selon le gouvernement, 78 stations de métro ont subi des dommages, dont certaines ont été totalement détruites. Ces dégâts dans le métro sont évalués à plus de 300 millions de dollars (32 milliards de Fcfp) et un retour à la normale sur certaines lignes pourrait prendre « des mois », a indiqué dimanche le président de la compagnie nationale de transports publics, Louis de Grange. « Il ne s’agit pas seulement du métro, mais de tout. Les Chiliens en ont eu marre des injustices », a déclaré sur une chaîne de télévision locale, Manuel, un travailleur qui tentait dimanche de gagner son lieu de travail.

(Crédit photo : Martin BERNETTI / AFP)
Le supermarché Lider a été incendié. (Crédit photo : PEDRO UGARTE / AFP)

Quelques rares bus ont circulé dans la capitale, forçant les habitants à se rabattre sur les taxis et les VTC, dont les prix s’envolaient.

Quelques petits commerces ont néanmoins rouvert ainsi que des stations services où les files d’attente de voitures étaient visibles, les habitants craignant une poursuite des violences lundi alors que des étudiants ont appelé à de nouvelles manifestations.

« De l’extérieur, on ne pouvait voir que les réussites du Chili, mais à l’intérieur, il y a des niveaux élevés de fragmentation, de ségrégation (…) La jeunesse en a eu marre et elle est sortie dans la rue pour montrer sa colère et sa déception », a expliqué à l’AFP Lucia Dammert, professeure à l’Université de Santiago du Chili.

À l’aéroport de Santiago, passagers bloqués et vols annulés

Des milliers de passagers ont été bloqués dimanche, avec des vols annulés ou retardés à l’aéroport de Santiago en raison du couvre-feu décrété par le gouvernement chilien face aux émeutes qui frappent le pays. Les couloirs du principal terminal ont été convertis en dortoirs où les passagers dormaient sur le sol, pendant que d’autres attendaient en longues files aux comptoirs des compagnies aériennes dans l’attente d’informations sur leur vol, a constaté l’AFP.

Des centaines de départs ont été annulés ou reprogrammés après l’explosion de colère sociale à Santiago depuis vendredi. « Nous sommes ici à cause du couvre-feu. Nous ne savons rien sur nos vols », confie une étudiante péruvienne venue au Chili participer à un congrès scientifique sur les forêts avec 120 autres personnes. « Nous devons faire de longues files d’attente pour savoir ce qui va se passer, nous ne savons pas si les manifestations vont empirer ».

(Crédit photo : Pedro Ugarte / AFP)

Sans rien à manger ni à boire, sans possibilité de sortir de l’aéroport en raison du couvre-feu et de l’absence de transports, les passagers attendent patiemment. « En raison de la situation actuelle à Santiago et dans d’autres villes du Chili, le groupe LATAM Airlines a dû annuler tous ses vols depuis l’aéroport de Santiago entre 19H00 aujourd’hui et 10H00 demain » lundi, a annoncé la principale compagnie latino-américaine qui a toutefois maintenu deux vols sur Lima et un vers Madrid.

La compagnie aérienne chilienne à bas coûts JetSmart a également annoncé l’annulation de 11 vols intérieurs ainsi que d’un vol vers Lima avec la reprogrammation d’une vingtaine d’autres. Sky Airline a annulé 20 vols.

Plusieurs compagnies internationales ont annoncé des retards sur leurs liaisons.

« La France doit suspendre sa participation à la COP25 »

Yannick Jadot, député européen EELV, lance mardi un appel pour que la prochaine conférence sur le climat (COP25) ne se déroule pas comme prévu au Chili, estimant que se rendre dans un pays où la situation rappelle « les années de plomb de la dictature Pinochet » serait « une faute politique et morale ».

Dans une « déclaration solennelle » dont le texte a été transmis à l’AFP, MJadot propose que la 25e conférence des Nations unies sur le climat se tienne au siège de la convention sur le climat, à Bonn. « Se rendre au Chili serait une faute politique et morale, une complicité avec la répression qui s’y abat », affirme-t-il. « N’allons pas négocier protégés du peuple par les chars ! ».

Le député européen explique que « la situation politique et sociale est absolument dramatique au Chili. Le gouvernement a déclaré la guerre à son peuple, l’armée occupe les rues, rappelant les années de plomb de la dictature Pinochet ». Le peuple chilien « refuse la privatisation des services publics – l’éducation, la santé, l’eau – et ne supporte plus l’explosion des inégalités »

« Comme beaucoup, je devais me rendre au Chili en décembre pour le sommet mondial pour le climat. La lutte contre le dérèglement climatique est un combat de paix et de justice sociale. Elle ne peut s’organiser dans un pays dont le gouvernement a abandonné et l’une et l’autre ». 

Yannick Jadot

« Appelons les gouvernements, l’Union européenne, et les acteurs de la société civile à refuser la tenue de ce sommet au Chili. Appelons les nations unies à déplacer la COP25 au siège de la convention sur le climat à Bonn. La lutte pour le climat ne se gagnera qu’avec les citoyens, jamais sans eux, surtout pas contre eux. Elle doit être démocratique et solidaire. Alors solidarité avec les Chiliens », affirme-t-il.

La 25e session de la Conférence des parties doit se tenir à Santiago du 2 au 13 décembre.

Le député insoumis Alexis Corbière a également appelé mardi la France à « suspendre sa participation à la COP25 » .

Vers de nouvelles manifestations

Les manifestations pourraient s’amplifier avec l’appel lancé par la Centrale unitaire de travailleurs (CUT), la plus grande confédération syndicale du pays, et 18 autres organisations à des grèves et manifestations mercredi et jeudi à Santiago.

(Crédit photo : Martin BERNETTI / AFP)

Les syndicats de la santé publique ont également annoncé pour cette semaine une grève et des protestations devant le ministère de la Santé.

Dans ce pays de 18 millions d’habitants loué pour sa stabilité économique et politique, l’accès à la santé et à l’éducation relèvent presque uniquement du secteur privé. « Ce qui se passe n’est pas lié à la hausse de 30 pesos du prix du métro, mais à la situation depuis trente ans. Il y a les retraites, les queues au dispensaire, les listes d’attente à l’hôpital, le prix de médicaments, les bas salaires », explique à l’AFP Orlando, 55 ans, venu lundi manifester à bicyclette.

Le président chilien réunit les partis pour chercher une issue à la crise sociale

Sebastian Piñera réunit ce mardi les partis politiques pour tenter de trouver une issue à cette violente crise sociale qui secoue le Chili.

Sebastian Piñera (Crédit photo : HO / Chilean Presidency / AFP)

Alors que de nouvelles manifestations et des grèves étaient annoncées, le président conservateur qui jugeait dimanche son pays « en guerre » a changé de ton. Lundi soir, dans un message à la nation, il a annoncé une réunion avec l’ensemble des forces politiques. « Demain, je rencontrerai les présidents des partis, aussi bien du gouvernement que de l’opposition, pour explorer et j’espère avancer vers un accord social qui nous permette de nous rapprocher tous unis, avec rapidité, efficacité et responsabilité, de meilleures solutions aux problèmes qui affectent les Chiliens », a déclaré le chef de l’État.

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