La France en zone de turbulences politiques après les législatives

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Emmanuel Macron apparaît isolé, au centre d'un paysage politique sans dessus dessous, avec une Assemblée sans majorité claire, dans laquelle son camp recule fortement au profit tant de la gauche que de l'extrême droite.

Publié le 19/06/2022 à 16:18 - Mise à jour le 19/06/2022 à 16:19

Emmanuel Macron apparaît isolé, au centre d'un paysage politique sans dessus dessous, avec une Assemblée sans majorité claire, dans laquelle son camp recule fortement au profit tant de la gauche que de l'extrême droite.

À l’issue du second tour des législatives dimanche, les candidats macronistes Ensemble! remportent 245 sièges -en dessous de la majorité absolue (289), devant la coalition de gauche Nupes et ses alliés (137 sièges) et le RN qui réalise une percée historique (89 sièges). Le nouvel hémicycle comptera 37,3% de femmes, en recul par rapport à 2017 (39%). LR gagne 61 sièges et son allié UDI trois, contre une centaine dans la précédente législature. Les divers droite obtiennent neuf sièges. Les divers gauche obtiennent 15 sièges. Dix sièges reviennent à des députés régionalistes. Dans le détail, au sein de la coalition Ensemble!, 170 députés sont issus de Renaissance (ex-LREM), 46 du MoDem, 26 d’Horizons, et trois du Parti radical. Dans les rangs de la Nupes, 72 députés sont élus sous la nuance Nupes-LFI, 26 sous Nupes-PS, 23 sous Nupes-EELV et 12 sous Nupes-PCF.

Le chef de l’État a perdu dans les grandes largeurs la majorité absolue (établie à 289 sièges sur 577) qui, pendant cinq ans, avait voté tous ses projets pratiquement sans discuter. Il hérite à la place d’une Assemblée nationale où à défaut de majorité, vont siéger deux oppositions puissantes qui lui sont résolument hostiles. Conséquence : deux mois après sa reconduction à l’Élysée, le mandat du président vacille déjà, ses projets de réforme, dont les retraites, aussi. Et la France avance politiquement en terre inconnue. 

Symboles de la gifle reçue, les défaites des chefs de file de la macronie à l’Assemblée, deux intimes de M. Macron : le président Richard Ferrand battu dans son fief du Finistère et le patron des députés LREM Christophe Castaner dans les Alpes-de-Haute-Provence. Trois ministres – Amélie de Montchalin (Transition écologique), Brigitte Bourguignon (Santé) et Justine Benin (Mer)- ont également mordu la poussière. « Il faudra faire preuve de beaucoup d’imagination » pour gouverner, a admis le ministre de l’Économie Bruno Le Maire.

Sur un ton plus volontaire, la Première ministre Elisabeth Borne a promis de « travailler dès demain [lundi] à construire une majorité d’action, il n’y a pas d’alternative ». Elle-même élue de peu dans le Calvados, elle a souligné que « cette situation inédite constitue un risque pour notre pays ».

Borne menacée ?

La cheffe du gouvernement, si elle se voit reconduite, va affronter immédiatement de fortes turbulences, alors que l’exécutif entend pousser avant les vacances d’été un projet de loi sur le pouvoir d’achat en pleine inflation. Dès dimanche soir, le député LFI Eric Coquerel a estimé que Mme Borne ne pouvait plus « continuer à être première ministre« , et annoncé que l’opposition déposerait « une motion de censure » contre son gouvernement le 5 juillet.

Pour Emmanuel Macron aussi, les tout prochains jours s’annoncent agités. Il va devoir manoeuvrer sur le front intérieur, avec un remaniement de son gouvernement, au moment-même où il sera happé dans un tunnel d’obligations internationales (Conseil européen, G7, sommet de l’Otan). Jean-Luc Mélenchon, qui doit renoncer à son espoir d’être « élu Premier ministre » mais gagne la direction de la gauche, s’est félicité d’une « déroute totale » du parti présidentiel, en annonçant que la Nupes allait « mettre le meilleur » d’elle-même « dans le combat » parlementaire.

Sans surprise, ce scrutin, le 4e en deux mois après la présidentielle, a été boudé par les Français. Le taux d’abstention atteint près de 53,79%, en hausse d’un point par rapport au premier tour (52,49%), mais inférieur au record de 2017 (57,36%).

Ensemble! devra aussi composer avec un Rassemblement national nettement renforcé qui, avec 89 sièges, constitue la grande surprise de ce deuxième tour, après une campagne en retrait, effacée par le duel entre le camp Macron et la gauche. Le RN, qui ne comptait que huit députés élus en 2017, pourra former un groupe parlementaire pour la première fois depuis 1986, avec sans doute Marine Le Pen à sa tête.

LR survit

« Nous incarnerons une opposition ferme, sans connivence, responsable », a annoncé l’ex-finaliste de la présidentielle, réélue dans le Pas-de-Calais. Les Républicains (LR), qui représentaient la deuxième force dans l’Assemblée sortante, conservent quelque 70 députés avec leurs alliés de l’UDI et des centristes, un chiffre quasi inespéré vu leur crash à la présidentielle. Leur position sera centrale dans l’Assemblée puisque le camp Macron aura besoin de voix pour atteindre la majorité absolue.

Le chef du parti Christian Jabob a affirmé que LR resterait « dans l’opposition » mais le maire LR de Meaux Jean-François Copé a appelé dimanche à un « pacte de gouvernement » avec Emmanuel Macron, estimant qu' »il appartient à la droite républicaine de sauver le pays ». 

Pour Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’université Panthéon-Sorbonne, le second mandat d’Emmanuel Macron sera en tous cas « un quinquennat de négociations, de compromis parlementaires. Ce n’est plus Jupiter qui gouvernera mais un président aux prises avec une absence de majorité à l’Assemblée ». Et d’ajouter : « On va vers un quinquennat où le rôle du Parlement sera réhabilité. C’est la pratique de tous les autres pays européens ».

37,3% de femmes à l’Assemblée, en recul par rapport à 2017

La nouvelle Assemblée nationale comptera 215 femmes (37,26%) et 362 hommes (62,74%), soit un hémicycle moins féminisé que celui issu des élections législatives de 2017 (39%), selon un décompte complet de l’AFP des 577 sièges.

En 2017, l’Assemblée nationale sortante n’avait jamais été aussi féminisée, avec quelque 39% de députées élues, 12 points de plus qu’en 2012, et plus du triple qu’en 2002 où elles représentaient à peine 12%.

Longtemps à la traîne, la France s’était alors hissée au 33e rang en terme de parité, sur 185 pays classés par l’Union interparlementaire.

Comme en 2017, c’est le groupe LR qui est le moins paritaire, avec 18 femmes sur 61 élus (29,5%). À l’inverse, l’alliance de gauche Nupes compte 43,6% de députées. La majorité présidentielle, qui ne bénéficie plus de la majorité absolue, compte 40,4% de femmes et le RN 37,1%.

Les lois sur la parité, et leur lot de sanctions financières, doublées en 2014 pour les partis présentant moins de 50% de femmes, ont été fortement incitatives. Pour la période 2017-2022, c’est déjà LR qui avait été le plus pénalisé avec notamment en 2021 un malus de 1,78 million d’euros. 

Elisabeth Borne, élue de justesse dimanche dans le Calvados à l’issue du second tour des législatives, est la deuxième Première ministre en France, après Edith Cresson (1991-1992).

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