« Il y a deux semaines, un jeune de mon village d’à peine 18 ans s’est pendu, à cause d’un chagrin d’amour. Il n’est pas mort parce que ses proches l’ont trouvé et il a été hospitalisé », raconte Pio Hiva, 22 ans et père d’un garçonnet de 3 ans.
Quelques jours plus tard, un autre jeune tentait de mettre fin à ses jours tandis que le 2 janvier puis le 20 février, un jeune de 18 ans et un père de famille de 29 ans se sont pendus. Selon la télévision Wallis-et-Futuna la 1ère, deux suicides avaient en outre endeuillé ce petit archipel du Pacifique sud en fin d’année dernière.
Responsable du Campus connecté à Wallis, Rudy Uatini y voit l’expression d’une profonde détresse d’une partie de la jeunesse locale dont la première cause est selon lui le manque de dialogue au sein des familles. « Dans nos coutumes, parler de soi, de ses problèmes, est quelque chose qui n’est pas naturel. Un enfant ne s’exprime pas librement dans son foyer », observe ce Wallisien.
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Religion catholique et coutumes polynésiennes sont les piliers de l’identité, mais depuis plusieurs années, la chefferie royale de Wallis est dans la tourmente. Deux « lavelua » (rois, ndlr) cohabitent : l’un officiellement reconnu par l’administration et une partie de la population et un lavelua « dissident », qui a aussi ses partisans. « Les plus jeunes ne comprennent rien à ce conflit qui a commencé en 2005, mais ils sont pris dedans car il divise les familles et les villages », constate Rudy Uatini.
La jeunesse trouve peu d’espaces de parole. Il n’y a pas de psychiatre dans l’île, uniquement des vacations tous les trois mois d’un professionnel de Nouméa.
Depuis novembre 2020, Rozette Yssouf occupe le premier poste de psychologue clinicienne créé par l’Agence de santé. « Comme dans la société traditionnelle mahoraise, la souffrance psychologique ou les troubles psychiatriques sont tabous. Les jeunes sont dans un entre-deux, entre coutumes et modernité, entre moi groupal et moi individuel », souligne la jeune femme, originaire de Mayotte. Il y a selon elle une forme de déni dans les sociétés communautaires qui, parce que fondées sur l’entraide, seraient toujours protectrices. « Mais le groupe n’est pas forcément bienveillant ou affectueux », lâche la psychologue, qui veut mettre en place des groupes de travail de prévention en santé mentale.
Addiction à internet
Faute de développement économique, Wallis-et-Futuna, archipel français le plus éloigné de la métropole, se vide de sa population. En moyenne, le territoire perd 1% de ses habitants chaque année; il est passé de 15 000 habitants en 2003 à 11 500 aujourd’hui.
« C’est dur d’être jeune ici. On a le sentiment de tourner en rond, alors ils veulent tous partir. Pour quoi ? Souvent, ils n’ont pas de projet précis, beaucoup s’engagent dans l’armée car c’est l’un des moyens les plus faciles », explique Rudy Uatini.
Responsable de l’insertion professionnelle par les métiers de la Défense, Juan Bustillo, installé dans l’archipel depuis plus de 20 ans, estime que chaque année entre 30 et 50 jeunes optent pour un cursus militaire et fait un constat amer sur le sort des jeunes. « J’ai l’impression que la jeunesse à Wallis-et-Futuna est laissée pour compte. Il n’y a rien pour elle. Ils sont en désarroi et pas en bonne santé », observe-t-il. 70% de la population adulte de Wallis-et-Futuna est obèse tandis que l’espérance de vie y est de 76,9 ans contre 83,4 ans dans l’hexagone.
Si l’alcool et le cannabis servent souvent d’exutoires, internet a aussi généré une addiction brutale, bouleversant les modes de vie et les liens sociaux. « Le téléphone mobile et la 3G ne sont arrivés à Wallis-et-Futuna qu’en 2015. Ca a été d’une brutalité inouïe, on n’a pas eu le temps de se préparer à ces évolutions technologiques comme en métropole. Tout le monde s’est équipé et les jeunes se réfugient dans Facebook, Messenger, Tik-Tok… », déplore Rudy Uatini. « Les jeunes sont rivés à leur écran », tacle Pio Hiva qui dit même « ne plus reconnaître son île à cause des réseaux sociaux ».