Le calme de Papeno΄o n’est rompu que par le fracas des vagues sur l’asphalte érigé en barrière pour protéger les maisons du bord de mer. Les clameurs de l’océan sont entrecoupées de silence, et c’est, en ces instants suspendus, que Tafetanui Tamatai se confie à Hommes de Polynésie.
UNE RECONNEXION À LA CULTURE
Tafetanui Tamatai a grandi entre la Terre des hommes1 et l’ile de Tahiti. Artiste pluridisciplinaire, il ne cache pas sa prédestination à la création.
« Quand j’étais gamin, mon grand-père paternel était sculpteur sur bois et il me demandait parfois de poncer ses sculptures. Puis quand j’étais au collège, je suis allé voir une exposition collective. Je me souviens qu’il y avait des œuvres de HTJ. Ce jour-là, j’ai su que je ferai un métier artistique. »
Après son bac, il tente le concours du Centre des métiers d’art de Papeete et commence un parcours créatif, mais surtout culturel.
« En rentrant au CMA, je me suis rendu compte que je ne connaissais rien à la culture polynésienne. »
Il s’intéresse plus en profondeur à son histoire et celle de ses ancêtres.
« Au CMA, on nous a appris la façon de faire des anciens, avec des techniques contemporaines. La culture ne se résume pas à la légende de Hina et Maui. »
Son diplôme en poche, il se fait rapidement une place parmi les artistes locaux et accède à la résidence de la Cité internationale des arts2 de Paris en 2021. Tafetanui mélange les matières, sculpte le bois et orne ses créations de déchets qu’il ramasse à cet effet. À l’aide de pinceaux et de bombes, il peint aussi des toiles qu’il recouvre de symboles de la culture mā΄ohi revisités.
« Les thématiques que je choisis sont assez variées, mais ça tourne généralement autour du patrimoine culturel polynésien et tout ce qui va avec : la faune, la flore, les coutumes, l’environnement. »
Jamais à court d’idées nouvelles, il sait se renouveler, étayant son panel de techniques.
« En ce moment, je m’essaye à la sculpture sur pierre. »
PENSER DIFFÉREMMENT
Si l’artiste se démarque autant lors des expositions auxquelles il participe, c’est bien parce que son style ne ressemble en rien à ce qu’on a pu voir jusqu’alors.
« Mon moteur, c’est de faire autre chose que ce qui se fait. »
Profondément persuadé que les œuvres d’aujourd’hui seront les artefacts de demain, Tafe tient à ce que ses réalisations aient un propos.
« L’art sert à laisser une trace, autant de notre compréhension que de notre incompréhension du monde actuel. J’essaye de creuser et de comprendre à ma manière les choses pour pouvoir créer. Sinon, c’est le blocage. »
Ne laissant au hasard que ce qu’il ne peut contrôler de la matière, ses créations sont pensées pour nous faire réfléchir.
« Je vais prendre une fleur inutilisable et je vais faire quelque chose avec, pour lui donner un sens. »
LE POUVOIR DU COLLECTIF ET DE LA TRANSMISSION
En 2021, il obtient sa carte d’artiste professionnel3 et rejoint le Hamani Lab4.
« Avant, j’allais en montagne pour sculpter. Maintenant, j’ai un lieu où je peux m’exprimer librement. On est un petit écosystème d’artistes et nous nous poussons mutuellement vers le haut. »
Croyant en la force du collectif, il a également le projet de pouvoir, un jour, perpétuer son savoir-faire.
« C’est la suite logique pour un artiste de transmettre ce qu’il a appris. Nous sommes la transition de la pensée entre ce qui se faisait avant et ce qui se fera demain. »
Depuis quelques mois, Tafetanui est également devenu papa. Un bonheur qu’il partage avec sa compagne et qui le pousse à continuer sur cette lancée.
« Une des choses que j’attends, c’est de pouvoir transmettre tout ce savoir à mon fils, comme mon grand-père l’a fait avec moi. Il en fera ce qu’il en voudra… »
C’est donc avec de l’espoir pour les prochaines générations de créatifs du fenua que nous quittons Tafe ; et le chant des vagues reprenant son souffle nous guide doucement vers la sortie.
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1 Les Marquises, appelés également Fuena Ena Ta signifiant La Terre des Hommes.
2 La Cité internationale des arts, fondation reconnue d’utilité publique, est une résidence d’artistes qui accueille à Paris (dans le Marais et à Montmartre) des artistes de toutes spécialités et de toutes nationalités.
3 La carte d’artiste professionnel a été instituée par le Ministère de la culture en 2016, afin de donner aux artistes de Polynésie française un statut qui leur permet d’être reconnus comme des professionnels à part entière.
4 Créée en novembre 2016 et actuellement présidée par Hennessy Maraeauria, dit “Cronos”, cette association a pour objet de fédérer les artistes du fenua et de promouvoir leurs travaux ainsi que d’organiser des évènements culturels et artistiques.
©Photos : Cartouche et Tafetanui pour Hommes de Polynésie